Nous autres dissidents.

(Anna May Wong 1931. Le dragon dans l'ombre)



Nous autres dissidents, nous n'avons pas à nous placer symétriquement contre la société dont nous nous séparons en vivant dedans. Nous ne sommes pas l'opposition, mais le négatif comme puissance. L'opposition reconnaît la légitimité, et nous ne la discutons pas. Il n'y a pas d'horizon commun de discussion. Là n'est pas le sujet.

Nous n'avons pas l'obligation de regretter les anciens maîtres parce que nous voulons être libres des maîtres modernes. Nous n'avons pas l'obligation de regretter la France de Louis XVI ou la Russie de Nicolas II pour être étrangers à l'UE ou à l'URSS. Nous ne devons d'obligation qu'à nous-même et à Casanova, ou à Baudelaire – cette formule provocatrice étant suffisante pour clore la conversation.

Les exemples historiques que nous pouvons penser dans le combat pour la liberté de respirer autrement que les autres hommes sont les dissidents du bloc soviétique.

Peu de dissidents regrettaient sincèrement le tsarisme ; en réalité, bon nombre d'entre eux étaient des communistes sincères qui s’insurgeaient contre la trahison des idéaux communistes. D'autres étaient des hommes religieux, qui ne pouvaient vivre sans Dieu. D'autres, tout simplement des artistes qui découvraient qu'ils devaient disparaître en tant qu'artistes authentiques pour vivre dans le Système. Et pour tant d'autres, de très nombreuses raisons, quasiment anecdotiques, provoquèrent la découverte au hasard des mensonges de la nomenkaltura et furent une raison de dissidence profonde, très profonde. Parfois tôt dans l'enfance. Parfois à la guerre.

Comment vivre ? Tel était la question principale. Comment vivre sans le Système dans un monde infiltré en totalité par lui ?

Et les solutions, variées et bricolées. Comment rester absolument pur, et réellement vivant ? Impossible. Il fallait être impur, et parfois vivant, et parfois mort. Ou exilé, encore plus mort. Toutes sortes de solutions ont été trouvées, toutes impures – les coups de fil de Staline à Boulgakov, ces discussions étranges.

Le souvenir des dissidents nous permet de penser ce monde, ce monde et nous. Et ce monde est avant tout actualité au sens de ce monde, c'est à dire vide. L'acte pur du Dieu d'Aristote signifie que son Dieu est la réalisation éternelle, toujours déjà présente, de toutes les puissances, un concept de divinité résolument extra-moral – qu'est ce en effet que la morale, sinon la condamnation de certaines possibilités, de certaines puissances ?

Et notre destin est de réaliser les puissances de la nuit.

Au contraire, notre actualité pure de modernes désigne un flux sans recul et sans fondement, une série de réactions et d'émotions sans objectifs, sans cible – le monde vécu des végétariens.

Pourtant l'actualité elle-même est porteuse du poids de destins individuels et collectifs, d'histoires à raconter pour les dieux à travers les poètes. L'actualité nous concerne et nous intéresse comme peau et masque du monde.

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L'actualité, c'est le spectacle nommé « mariage pour tous ». J'applique le principe de dissidence : aucune obligation de se placer dans ce débat, pour ou contre, mais le rappel qu'il est possible de se placer en dehors. Deux orthodoxies se déchirent – eh bien tant mieux pour eux.

Quant nous voyons les maîtres condamner leurs opposants comme nazis, comme des gens à faire porter aux homosexuels des triangles roses, quand nous les entendons interdire la lecture d'un auteur au motif de ringardise ou de collaboration – bref, quand nous vivons au milieu d'une nouvelle orthodoxie, aussi suffisante et méprisante que toutes les orthodoxies possibles, il nous faut trouver des modes de respiration.

Aucune dictature n'a jamais persécuté par des actes positifs tous ses opposants potentiels. Elle fait des exemples, de la surveillance, mais ne peut pas tuer tous les gens obscurs, ou puissants. La liberté dont jouissent les dissidents dans le Système moderne est proportionnelle à la force et à la sécurité de sa domination – l'impuissance des dissidents est telle qu'ils peuvent être libres. Quelques exemples quand même, comme l'affaire Coupat.

La liberté relative des dissidents n'est pas un argument contre l'existence d'une orthodoxie. Sous Franco, nombre de poètes ont simplement vécu petitement, dans la misère, en voyant leurs collègues collaborant avec le régime devenir toujours plus reconnus, puissants et riches. Boulgakov exprime dans son œuvre son ressentiment face à la prospérité matérielle des auteurs tournés vers le Système – leur restaurants, leurs boutiques, leurs vacances. Maintenir dans l'oubli et la misère est suffisant, car comment un poète isolé et misérable pourrait-il toujours croire en son œuvre, ne jamais douter, ne jamais brûler ses œuvres, comme le Maître, ne jamais espérer la folie, ne jamais être tenté de mourir comme Tsevetaëva ? Pourquoi un poète moderne devrait-il voir sans sourciller la prospérité d'un auteur vendu au Système ?

J'ai rencontré un jour sur l'île de la Cité un ancien révolté rallié, devenu un riche, très riche journaliste, accoudé au comptoir d'un bar. Les lourds plis de son cou, sa face violacée, apoplectique, son costume luxueux, l’arrogance naïve et bruyante de ses propos, l'attitude mielleuse et déférente des garçons de café – le portrait en est fait dans le Maître et Marguerite.

Il s'est nommé lourdement philosophe après les avoir moqués avec légèreté. Qu'importe son nom ? Il est déjà oublié.

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Face à cette nouvelle orthodoxie, la tentation est grande de porter pour soi ce qui est le repoussoir de toute connivence possible, de porter la Croix gammée en sautoir comme Sid Vicious, ou le voile islamique. Mas c'est un piège, comme pour les dissidents soviétique de devenir admirateurs des États Unis. Comme eux, nous ne sommes pas nostalgique d'ordres passés, de domination passée. Nous voulons juste être libres dans notre vie élémentaire, sans vexations, et dire la vérité.

La vérité est l'arme infime et puissante de la dissidence. Elle est ce qui a mis la Rose Blanche à égalité avec l’État en Allemagne. Elle fait du dissident le miroir du mensonge de toute la société, et toute la société est complice de la tyrannie.

Et dans le vacarme du débat, il est possible de murmurer quelques vérités.

Le mariage moderne est un sacrement désenchanté. Lors de la Révolution de 1789, l’État a repris à l’Église des opérations que sous la Monarchie elle faisait pour toute la population, y compris non catholique ( état civil, mariage, baptême, etc...). La meilleure preuve est que n'importe quel citoyen peut demander aujourd'hui en Mairie un baptême républicain, une parodie du baptême chrétien comme rite de passage. C'est largement oublié.

Avant encore, l'union d'un homme et d'une femme pouvait se faire sans cérémonie, ou encore par une cérémonie d'abord politique, au sens de marquant une alliance. Cette union était un mariage, synonyme d’appariement, par exemple utilisé aussi en cuisine. Très tard, l’Église a voulu sanctifier cela, et a installé le sacrement du mariage. Toute la mythologie de la virginité au mariage est ecclésiastique. Mais le mariage moderne est très clairement l'articulation d'une union et d'un sacrement, reprise sans cérémonie par la seule puissance civile. L'élu local a repris le rôle du curé, mais avant le curé ce rôle n'existe pas. Le mariage civil est le fantôme d'un rite ancien, vidé de tout contenu, une parodie.

La puissance civile n'a plus aucune légitimité sacramentelle. Il s'ensuit que ce qui est nommé mariage civil n'a jamais été plus qu'une union civile. La défense par les catholiques de la forme parodique de cette union n'est que l'expression de la nostalgie de l'ancienne alliance de l’Église et de l’État, et cette alliance n'est aujourd'hui que la corruption des vestiges de l’Église. La vérité est qu'une Église conséquente n'a rien à faire avec l’État moderne.

Et la vérité est que cette Église joue le rôle de complice objectif de la réforme de la société par le Système, en monopolisant la résistance à cette réforme, en la faisant porter sur des points indéfendables, en mettant en avant des personnages grotesques.

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Nous n'avons pas de sympathie spontanée pour les catholiques qui s'opposent avec des arguments traditionnels au mariage pour tous.

Nous sommes en accord avec le principe du mariage pour tous, en ce que ce « mariage » n'est qu'une union civile, et que le seul mariage qui soit est celui qui est donné par une légitimité sacramentelle. Dans le principe, le mariage pour tous est un oui, une liberté supplémentaire qui ne coûte rien à personne, et le refus de ce mariage est un non, un non peu compréhensible, puisque le oui n'empêche personne de contracter un mariage hétérosexuel. Le lieu de l'opposition est le lieu de la bataille choisi par les communicants du Système ; il est stupide d'accepter la bataille aux conditions de l'adversaire.

Ces opposants traditionnels sont les idiots utiles qui permettent au Système de produire son unité en désignant ses ennemis.

Le débat est ainsi posé que soutenir le Système est un oui, et s'y opposer est un non réactionnaire. Nous savons que dans ces termes, les idiots utiles ont toujours-déjà perdu, éternellement. La vérité est que la loi passera, et que tout le monde le sait.

La vérité est pourtant que les puissants se moquent de toute liberté qui n'est pas la leur. La vérité est que le mariage pour tous n'est même pas un enjeu en dehors du spectacle. Il ne se passe rien de plus qu'une réforme du PACS.

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La vérité est que cette loi, permettant le principe de la filiation de personnes réellement hors d'état d'avoir une filiation effective sans intervention, est en réalité l'ouverture de la Procréation Médicalement Assistée et de la Gestation Pour Autrui. Car autrement, le problème soit-disant posé n'existe pas.

La vérité n'est pas l'amour des hommes ou la protection des enfants : elle est la levée d'obstacles au développement de la technique. Comme d'habitude, l'invocation de hautes valeurs est l'instrumentalisation de l'asservissement de la société à la technique, c'est à dire aux organisations capables d'en conserver le monopole, à savoir en l'espèce le complexe médical-industriel. Le débat est à suivre. Il est programmé, d'ailleurs. Et nous, les dissidents, nous le savons, et les hommes du Système le savent aussi.

Ils ne sont pas idiots. Le Maire de Paris, un très puissant oligarque, a dit : il ne faudrait pas que nous avancions vers une forme étrange de barbarie, en parlant de la GPA. Il sait très bien qu'il est de fortes raisons de le craindre. Nous savons qu'ils savent, et ils savent que nous savons. Mais nous ne pesons rien. Le Maire de Paris, homme installé et très intelligent, comprend le danger objectif qui se profile, cette étrange barbarie. Il comprend que personne ne gouverne le chemin vers cette étrange barbarie à venir. Les successeurs du Maire de Paris n'auront pas de ces réticences.

La GPA sera interdite, ou encadrée de motivations hautement humanitaires, le besoin vital, la gratuité généreuse du service, etc. La GPA de marché aura lieu ailleurs, il est tellement de pays pauvres qui n'attendent que d'en faire une industrie. Mais les enfants nés de la GPA auront un statut, on l'a vu par une circulaire, les parents ne seront pas incriminés : comment condamner le généreux désir d'enfant, comment condamner des enfants innocents, quelque dizaines à peine, déjà nés de toute façon ? Puis dans quelque années, puisque des femmes, dans des associations fortement financées, avec des locaux dans Paris et du soutien médiatique, militeront pour avoir le droit de louer leur ventre et d'autre de le louer, elle entrera dans les mœurs.

Le débat sera réduit à un oui – puisque dire oui à la GPA n'empêche pas d'avoir un enfant par les voies naturelles, et ne coûte rien à personne sans sa volonté. Pourquoi refuser cette liberté ?

Et nous l'aurons, cette étrange forme de barbarie. Un échange qui, quelle que soit la manière juridique dont il est formalisé, correspond à la vente d'enfant. Nous l'avons déjà.

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Quand on parle de progrès, les opposants traditionnels à cette notion en font une critique philosophique abstraite, parlent de l'obligation logique d'avoir une d'échelle de valeurs, des finalités, pour parler de progrès de manière intelligible – ils précisent que le progrès ne peut être pensé sans poser de fin, qu'il n'y a pas de progrès en soi. C'est vrai sur le principe ; mais cela ne peut être audible, puisque dans la société technique, le besoin crée le progrès : la GPA et la génétique permettront le choix de la couleur des yeux, des cheveux, de toute sorte de critères déjà existant sur le marché. Je me sers de mon ordinateur et d'internet, et je veux un débit toujours plus rapide, et une voiture plus sobre, etc. Face à un ordinateur de vingt ans, la discussion sur les fins, le début et la fin, tout cela paraît artificieux. Le progrès est évident.

La seule vérité, c'est que notre monde assume totalement, sans le dire, l'échelle de valeurs qui fonde de parler de progrès. Notre société est hypocrite : elle nie aimer la puissance quantitative, mais pense tout à travers elle ; elle nie hiérarchiser par l'argent, et pourtant l'argent est la seule hiérarchie incontestable du monde comme il est. Au delà de toutes paroles vaines, notre société est avide d'or comme les conquistadors, et est prête exterminer des peuples pour en avoir comme eux. Les conquistadors eux-même ne faisaient la guerre que pour Dieu ( ou la démocratie) et le Roi (ou notre beau pays), en affichant leur désintéressement total. Bien sûr. Et nos oligarques font des opérations de bienfaisance, quand les pillards enrichis bâtissaient des Églises et donnaient des messes. L'humanitaire blanchi l'argent autant que les banques suisses.

Ce qui est possible et peut rapporter une fortune trouvera l'espace géographique et politique où exister, puis se se diffusera. Quand un petit nombre d'hommes pourront choisir à la carte la génétique de leur enfant, les autres crieront à l'injustice, pour faire reculer les tabous qui ralentissent le bonheur des parents sans rien coûter en vies humaines. C'est à dire que le libre choix, les « prochoix », l'emporteront toujours dans un monde libéral. Le monde libéral est la règle d'un jeu qui donne toujours le même vainqueur : il faut refuser le jeu, refuser les règles. Aucun obstacle à la technique ne peut tenir. Il est complètement faux que la technique suit la loi ; c'est la loi qui partout suit la technique.

Le déroulement général de l'histoire est déjà écrit. Le progrès n'est pas une analyse philosophique, il est l'auto-développement du Système, un développement inflationniste : l'ensemble des productions du Système sont les conditions suivantes de la poursuite de sa fuite en avant – il n'y a pas de rétroaction humaine qui vaille, exactement comme c'est la loi qui suit la technique et non l'inverse. L'écologie raisonnée est une utopie qui se transforme éternellement en accompagnement et en complicité.

Une autre question à poser est celle, ontologique, de ce qui progresse. Quel est l'être de ce qui progresse ? Est-ce l'homme ? Non bien sûr, l'homme qui utilisait cet ordinateur il y a vingt ans a vieilli, il a marché vers la mort. L'homme moderne n'est pas meilleur, et son bonheur ne s'est pas amélioré. Il est peu douteux que la vie de l'homme des années 60-70 est globalement plus facile que la nôtre : logement aisé, plein emploi, optimisme général, liberté sexuelle, voyages autour du monde presque gratuits, espoir révolutionnaire, progression rapide des salaires, dégradation de l'environnement beaucoup plus faible...les gauchistes et les hippies se moquaient éperdument du mariage homosexuel, et le progrès pour eux étaient les communautés libertines sans distinction de sexualité.

Ce qui progresse, c'est la technique. Au début de l'automobile, elle était un moyen de plus de se déplacer librement. Puis les routes ont dû être adaptées, et il est devenu difficile, dangereux et malcommode de se déplacer à pied. Les bouchons massifs, le code de la route ont résorbé la liberté. Et par cette liberté, les plus riches ont monopolisé les centre villes, et « on » a construit de plus en plus loin l'habitat des pauvres, par le jeu du marché. Et la liberté est devenu éloignement social, charge financière, et moyen de prélever une rente faramineuse par l'essence, dès les années 60. Pour l'eau courante, elle a été un soulagement ; puis l'eau des puits est devenue inutilisable, des normes d'épuration ont été mises en place, payantes, et les compagnies des eaux ont pu s'imposer et prélever leur rente. Quand un moyen technique est très efficace, il crée un monopole de jouissances élémentaires, et permet d’intégrer au marché la vie humaine la plus élémentaire.

Aujourd'hui la liberté d'expression est appropriée : l'espace public d'expression est propriété privée, et donc espace de l'arbitraire absolu, de l'interdiction sans motivation ou du soutien sans justification. C'est un fait ; il nous faut vivre dedans comme les dissidents vivaient en URSS. Les sociétés privées revendiquent la liberté comme l'URSS d'Helsinki, et nous devons les prendre au mot.

La société qui promeut le mariage pour tous est identique à celle de la société multicolore, une société tentée par l'orthodoxie, le mépris des hérétiques, une société oligarchique hiérarchisée par l'argent et fascinée par la puissance matérielle – elle est le ventre d'une tyrannie qui ne cesse de s'étendre au nom de la liberté.

Ce qui progresse, c'est la puissance technique, pas le bonheur, pas l'homme. Et parfois la technique nous tue, nous enchaîne, nous aveugle. Mais le temps s'accélère et la pensée est lente, si lente.

Le monopole du complexe médico-industriel sur la naissance et sur la mort est certes une protection et un progrès pour l'homme fragile et qui craint la mort, mais ce n'est plus un choix. Il faut mourir à l’hôpital, il faut accepter une autopsie, avoir un permis d'inhumer, inhumer là où l'on à le doit en payant une taxe, ou passer par la crémation administrée. L'euthanasie, tôt ou tard, sera légalisée, mais non comme une liberté, comme la réponse à un besoin économique inavoué. La priorité sur le handicap donne une puissance phénoménale au monde médical, celle de déroger aux règles du jeu de la reproduction sociale en fonction de ses décisions souveraines, pourtant opaques.

La GPA, la PMA auront des coûts, et si on en sait pas qui paiera, on sait déjà qui sera payé. Même si les femmes GPA devront d'abord être désintéressées, les services médicaux seront payés. L'emprise du complexe atteint silencieusement le niveau du complexe militaro-industriel. Ce n'est pas les Gender studies qu'il faudrait lire pour comprendre, c'est Ivan Illitch. L'évolution à moyen terme sera celui vers une PMA universelle, comme déjà la gestation et l'accouchement sont universellement MA. La vie est un espace d'intensification du Système, une extension du domaine de la lutte.

Je fais un scénario de science-fiction ? Non, je dis la vérité. Combien de médecins parmi les députés ? Quel est le revenu moyen des médecins ? Qui a fait sérieusement l'histoire de cette puissance politique impersonnelle ?

Qui comprend réellement que nul ne peut vendre des semences de tomates non enregistrées en Europe, que les semences sont déjà appropriées ?


***

La seule ligne de défense qui vaille, c'est de soutenir que la liberté vaut plus que la vie, et que si une défense de la vie met en péril une liberté – comme la surveillance des transports au nom des accidents de la route met en cause la liberté de circuler sans laisser de traces, alors l'argument de défense de la vie ne peut prévaloir. La vie n'est pas seulement quantitative, cent ou mille ans en bonne santé, elle est aussi faite d'intensité ; et mille années dans une tyrannie précautionneuse est analogue pour nous à l'éternité des peines de l'Enfer.

Il est une autre vérité. Au sujet de la Loi. La loi n'est pas l'organisation de l'épanouissement individuel, elle est l'organisation de la vie collective, en tant que l'homme isolé ne peut vivre. C'est comme le système éducatif : il n'a pas pour but unique l'épanouissement de l'individu, il est un moyen de puissance indispensable pour une grande puissance industrielle, et c'est être une puissance industrielle qui nous garantit notre protection physique, nos logements et notre retraite, au contraire des maliens par exemple. L'épanouissement de l'homme individuel ne se fait pas par la loi, et sans la volonté et la responsabilité individuelles ; il se fait dans les interstices de la loi, dans les interstices des nécessités collectives implacables. La collectivité ne peut réussir la vie de chacun, c'est à chacun de réussir sa vie.

Il n'est aucun progrès de la liberté à l'indéfinie multiplication des lois. La loi la plus libre est simple et courte, elle est celle de Thélème pour les hommes nobles de Rabelais : "fais ce que vouldras" et assume sur ta vie.

La collectivité ne fera jamais Rimbaud. Le mariage de Rimbaud et de Verlaine, avec GPA et vieillissement durable, aurait été incompatible avec la poésie, au contraire du coup de revolver et de l'absinthe. Nous sommes du côté de la poésie, et donc du parti du Diable, comme dit Blake. Nous ne voulons pas de la société de la sécurité pour tous, un grand monde unidimensionnel blanc, structuré par une idéologie monocorde, un monde des morts. La puissance technique est au service de la vision moralisatrice du monde, en tant qu'elle éloigne toujours davantage les limites de la réalité – les muets parlent, les sourds entendent, les morts survivent indéfiniment, les mâles enfantent, les ânes brillent et sont poètes, philosophes, docteurs et ministres sans contradiction possible.

Mais le vent les emportera avec toutes les vanités de leur monde, comme des feuilles mortes, parce qu'ils ne sont pas dans la réalité des pères, des mères, des poètes, des docteurs, des philosophes, et même pas des hommes d’État. De Gaulle eu ce mot au sujet du président de la République au moment de la guerre mondiale, l'immémorial Albert Lebrun : au fond, comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fut un chef, et qu'il y eût un État.

Le Spectacle est comme une bulle de verre. Quand il heurtera quelque réalité, il s'évanouira en fragments.

La réalité est la forge de l'homme libre, qui est libre par la lutte contre le monde, en tant que carnassier, avide de chair, et par l'acceptation de la mort. Un être élevé dans la négation du réel reste à vie un enfant immature incapable d'autonomie – de liberté souveraine.

Quand on s'exalte d'une liberté octroyée, on devrait toujours faire l'expérience de pensée suivante : un maître d'esclave sur une grande exploitation pourrait-il octroyer cette liberté sans nuire à sa domination ? Et vous verrez qu'il peut octroyer toutes les libertés de mœurs, de religion, de vêtement que l'on veut. Qu'importe l'esclave qui veut travailler au son du jazz, du rap, ou devenir pratiquant, s'il travaille comme avant !

C'est le tragique de l'homme. La liberté est la sienne. Elle n'est pas octroyée. Au cœur de l'URSS, un dissident était plus libre que n'importe quel militant associatif aliéné manifestant pour ou contre le mariage pour tous avec son costume à lui et son idéologie simpliste et illusoire, soutane, latex, femen, ou tous les autres.

Et c'est ce que nous voulons être : dissidents, et rien de plus.

Vive la mort !

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Zinaida Serebriakova