La goût du sang, ou de la violence.



(Samuraï)

Il est des choses très simples et vraies à dire sur la violence. Et pourtant il est très difficile de les dire. Non qu'elles soient difficiles en elles-mêmes à formuler ; mais plutôt parce qu'elle sont des vérités gênantes, et qu'il n'existe qu'une faible tradition de leur formulation. Par exemple, il existe une longue tradition de formulation de vérités sur la mort ; et ainsi, l'homme qui veut les formuler à nouveau peut s'appuyer sur cette tradition, sur Épicure, sur Epictète, sur Villon. Sur la violence, il existe des propos rapportés d'hommes ayant vécu dans la violence et l'exercice de la violence ; mais peu d'hommes d'écriture en ont fait partie. Ces propos sont donc épars, et ne sont pas rassemblés dans un ensemble cohérent, un ensemble d'expérience humaine.

Comment décrire simplement la violence, la définir ? La violence est d'abord l'usage de la force physique pour déterminer un ordre, par exemple l'ordre d'accès à une ressource. La violence est l'usage d'une contrainte entre les hommes – ou entre tout être vivant, puisque la violence comme la mort est universelle.

Dans le désert, je te pousse devant un puits ; tu peux t'écarter et attendre pour boire, ou te battre et peut être boire durablement le premier. Dans toutes les relations tôt ou tard c'est toi ou moi. L'image du carnassier est une image traditionnelle : il prend la vie d'un animal pour se nourrir, ou nourrir ses petits. Si je te fais passer avant moi pour l'accès à une ressource vitale, c'est que je marque symboliquement que notre lien est plus que la ressource, plus que la vie même. Par là il ne se dévoile pas de dépassement dialectique de la violence, mais une image de son caractère de fondation de l'ordre humain.

Je peux faire que tu sois plus que ma vie, parce que je mourrais de te perdre. Ainsi mon enfant boira avant moi, s'il a très soif ; et avant un autre homme, si j'ai puissance de l'écarter. La force n'est pas niée, elle étend sa protection. L'homme puissant qui voulait protéger un homme disait, dans les temps passés, devant de nombreux témoins : je met ma main au dessus de lui. Et l'homme devenait le protégé du puissant, et nul n'osait lui faire violence. Il y a un épisode de ce genre dans la vie du Prophète. La protection est une protection violente contre la violence générale.

La violence consiste en ce que pour chacun, sa vie vaut toujours plus que celle des autres, en dehors des liens d'exception, et que personne ne peut spontanément accepter de céder à autrui sans raison. Il s'ensuit que chacun veut passer avant les autres pour tous les besoins, depuis les aliments jusqu'à la sexualité ou l'amitié. Et ce n'est pas possible.

La contrainte est cette raison de céder quand l'amour est absent. La violence ou la menace disent : inutile de discuter, tu n'as pas le choix. Il existe un lien étroit entre l'exercice de la violence, l'humiliation et la notion d'estime de soi. Les jugements sur ses possibilités, intériorisés, font que chaque personne conserve une image des rapports sociaux auxquels il a été soumis. Dans de nombreuses situations de force, les hommes modernes perçoivent cette voie intérieure qui leur dit : tu n'as pas le choix.

Dans les situations de désaccord, il faut un arbitrage. Il n'est pas possible que les désaccords sans solution s'accumulent sans détruire tout lien entre les hommes, sans que le désordre l'emporte sur l'ordre. Un groupe humain en guerre civile est impuissant face à ses ennemis, et tous les groupes sont environnés d'ennemis, c'est à dire de groupes qui veulent accéder aux mêmes ressources que les vôtres. Il est possible de discuter, de passer par des symboles, par des règles. Mais rien ne rend certain la discussion.

Le dernier recours est toujours la force. Elle est le seul moyen de trancher en cas d'échec des médiations. L'épreuve de force est psychologiquement la confrontation entre l'image intériorisée de ses possibilités que conserve un individu et la réalité. Si l'épreuve de force est un déni cinglant des attentes d'un homme, elle est une humiliation. Une humiliation est le recadrage des attentes par la réalité, quand l'écart est brutal. Elle est un acte de pouvoir universel. Une gifle est une humiliation directe, brutale. Un refus poli d'entrée dans un lieu public est une humiliation discrète. L'humiliation est répandue moléculairement dans toute la société, pour maintenir l'ordre. Comme les autres, et plus encore, notre société est une société d'humiliation déniée et euphémisée.

Le conflit par violence est inévitable dans la vie humaine selon l'histoire et la mémoire des hommes. Dans un puits isolé dans le désert, il peut y avoir très peu d'eau, pas assez pour tous. L'homme isolé et faible mourra. Le groupe faible sera enfermé dans le désert. Cela n'est pas le résultat de choix moraux des individus en cause : ce déroulement est nécessaire. Celui qui voudra en passer par un choix symbolisé sera écrasé par les autres, tout simplement parce que l'usage modéré de la violence est dans ce cas, comme dans un bon nombre d'autres cas, un choix rationnel – le choix le plus rationnel pour survivre pour celui qui peut l'exercer.

La force consiste à obliger autrui à faire ce que l'on veut, ou à le détruire. La force est la contrainte indiscutable, par la menace effective de mort : marche ou crève. Pour que cette menace soit effective, il faut qu'elle soit régulièrement et publiquement réalisée. Si le groupe puissant, si le protégé de l'homme puissant sont attaqués, l'agresseur doit être châtié, souvent doit mourir pour que l'honneur du puissant demeure invaincu. Ce n'est pas une réaction archaïque ou irrationnelle, mais l'équilibre du monde social qui doit être rétabli. La réaction attendue des États-Unis après le 11/09 est de structure identique. Si la France subissait une attaque, sa vengeance serait attendue et inévitable. Si les forces de l'ordre sont humiliées dans un quartier, ne pas réagir est un abandon aux puissances locales, qui utilisent aussi la violence. Si un leader est défié dans un groupe, ne réagit pas, et ne trouve pas de moyens de rétablir l'équilibre, son leadership est terminé. Tout homme qui doit dominer un groupe a appris à y être extrêmement vigilant.

La question de la peine de mort n'est pas une question d'efficacité face à la récidive, ou toutes autres questions technocratiques. Elle est liée à la reconnaissance de l'atteinte symbolique du groupe frappé par une mort violente subie, et à la nécessité de son rétablissement dans une société organisée par des filiations réelles ou symboliques. Dans une telle société, refuser d'appliquer la peine de mort, pour l'État, ne signifie rien d'autre que vouloir transformer l'ordre social par la force, en brisant les liens de solidarité entre les hommes, ou permettre implicitement la vengeance privée. Soit en effet il y aura vengeance privée, mais il y sera mis fin par la violence de l'État – voir la lutte de Richelieu contre les duels, et l'exécution publique des duellistes – soit il y aura vengeance privée sans réaction puissante, comme en de très nombreux pays à ce jour.

Je ne crois pas qu'il soit bon, sans doute possible, d'interdire à un parent de venger la mort d'un enfant, et à un ami de venger la mort d'un ami sans leur donner de recours. Au contraire, je pense qu'il est inhumain d'exiger d'un parent de ne pas venger la mort de son enfant, et de condamner le tueur à une faible peine, comme dans le cas des morts par imprudence. C'est pourquoi les assassinats ciblés des États modernes ne sont pas par principe condamnables face à des assassins assumés. L'homme libre ne peut renoncer à la vengeance que s'il est reconnu qu'il en a la puissance. Je pense que la solidarité des hommes entre eux doit être inconditionnelle, à l'exception des actes indignes. La loi et l'État peuvent réprimer durement la violence criminelle sans humilier tous les hommes. Je pense que l'État moderne n'a jamais lutté contre la violence pour des raisons morales, mais pour affirmer son monopole de la violence.

Il y a de moins en moins de peines publiques dans les pays développés, mais il est illusoire de s'en vanter. Dans le monde moderne, le spectacle tient lieu d'espace public. Ce qui permet de ne plus montrer les peines, les peines afflictives du passé, c'est que les médias permettent leur publicité effective. Les exécutions ne sont plus publiques parce que la symbolisation de la force s'est déplacée, euphémisée.

L'exécution de certains hommes est encore publique, quand on diffuse une vidéo atroce de leur lynchage. Cela s'est vu ces dernières années. La mort de Saddam Hussein comme celle de Muammar Khadafi furent publiques. Les puissants modernes se permettent des délices interdits, le spectacle sanglant de leur ennemi mort, de celui-là même avec lequel ils ont mangé la veille.

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La violence est un risque même pour le vainqueur. Il peut être blessé. Si le conflit dégénère en conflit multiple, c'est la survie du groupe qui sera en cause. L'ordalie personnelle médiévale – il en est des exemples antiques - n'a rien de stupide : elle est profondément réfléchie. Nos carnages militaires collectifs sont infiniment plus barbares que l'ordalie. Tous les hommes ont intérêt à codifier et à symboliser la violence ; mais cette symbolisation ne peut être indéfiniment poursuivie sans risque. Car si un ennemi utilise une violence brute, il brisera ceux qui ont trop symbolisé. Ainsi l'épée japonaise brisée par le fusil occidental. Mais c'est aussi une des causes des succès barbares face à tous les vieux empires, des succès des jeunes ultra-violents face aux vieux parrains.

La violence sans symbole est toujours de durée limitée, car elle est destructrice et trouve en elle-même sa fin. L'aménagement de la violence est possible pour les combattants. Il est possible de fixer des règles du jeu qui seront validées par le groupe ; par exemple, l'arrêt d'un affrontement à la première blessure, toutes les épreuves sportives, ou le jeu de la démocratie moderne. Plus profondément, un vainqueur devenu dominant peut exercer une domination honorable pour ceux qui deviennent ses hommes, et leur permettre l'accès à sa table. Cette expression, l'accès à la table, est encore celle utilisée par un chef d'État pour parler des récompenses de ses fidèles. Ainsi à la violence succède toujours l'établissement d'un ordre. Il se met en place, à toutes les échelles, un cycle de la violence.
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La violence est au cœur des mécanismes économiques, ceux de la répartition des ressources. Les groupes nommés groupes criminels sont ceux qui ont développé une utilisation systématique et organisée de la violence pour contrôler des ressources. Mais les États et les sociétés de sécurité usent de la violence pour contrôler des ressources décisives, aujourd'hui comme hier. Pour les vénitiens médiévaux par exemple, il y avait continuum entre piraterie et commerce, selon le rapport de force du moment. L'Occident moderne organise un continuum entre le commerce et l'emprise militarisée des ressources vitales au système mondial de production.

Il n'est pas possible seul de vaincre même un petit groupe. Il s'ensuit que, pour être premier, il faut s'inscrire dans un groupe qui sera premier par rapport aux autres. L'aménagement d'un ordre entre groupes est possible, analogues aux aménagements entre individus. Là dessus la phrase de Marx sur l'histoire de l'humanité comme histoire de la lutte des classes est certes partielle, mais également réaliste.

La violence est le cœur des processus sociaux. Les processus sociaux sont organisés par la violence et par les processus de limitation et d'encadrement de la violence. La définition de l'État moderne par Weber, le groupe social qui se réserve le monopole de l'exercice de la violence légitime, montre à la fois le rôle déterminant de la violence et celui de son encadrement. Car l'Etat doit se réserver le monopole de la définition de la légitimité, c'est à dire de l'encadrement de la violence.

L'absence de violence légitime en dehors de l'État n'est que dans l'illusion une société sans violence. Tout d'abord, elle est une société de violence permanente de l'Etat, visible par exemple dans le taux d'incarcération très élevé de grandes puissances modernes (par exemple 0.7% aux États Unis, 0.5% en Russie. Dit autrement, une ville américaine d'un million de personnes aura 7140 prisonniers en moyenne dans sa prison ; pour Lyon, avec sa région urbaine de 6 millions d'habitants, on aurait...42000 prisonniers.) Cette société de violence d'État est aussi une société de violence et d'humiliations symboliques, d'une manière à la fois occultée et permanente : je parle de l'humiliation quotidienne du pauvre, dans les moindres détails familiers. Elle une société de dépendance organisée des hommes par le contrôle de ce qu'il ont de plus déterminant pour construire le monde, leur puissance. Elle est une société de mise sous tutelle et d'immaturité. Que vaut la liberté de celui qui craint sans cesse pour lui-même? Mais ce n'est pas le sujet.

Toute imposition d'un ordre durable est l'oeuvre d'une puissance légitime par sa force. Ainsi l'oeuvre des Césars, et ses difficultés symboliques profondes liées à la mise en place d'une monarchie qui n'humilie pas l'aristocratie sénatoriale. Cet ordre est suffisamment honorable pour tous pour qu'il fasse consensus. La monarchie française de droit divin faisait consensus, par exemple. La société dite d'Ancien régime, la société d'ordre, était un complexe édifice basé sur la hiérarchie et le respect de l'honneur de chacun, même du paysan, un respect méticuleux. L'humiliation n'y était pas quotidienne. Un pouvoir fort n'a pas besoin de déployer une grande violence publique. Ce déploiement est plutôt un indice de faiblesse. Les groupes criminels qui peinent à s'imposer utilisent la terreur spectaculaire, comme aujourd'hui au Mexique. Au sommet de sa puissance au contraire, la mafia sicilienne recherchait une sobre discrétion. La haine contre le Roi et la Révolution vers la fin de la monarchie, ont noté tant Tocqueville que Napoléon, ont montré non la tyrannie de la celle-ci, avec ses bastilles vides, mais bien la faiblesse et la décomposition du soi-disant pouvoir absolu.

L'imposition par force d'un ordre symbolique est un coup d'arrêt, une limite de l'usage brutal de la force. il s'ensuit que le pouvoir qui établit un ordre doit s'occulter lui même comme étant la source d'imposition de l'ordre, et se vouer aux dieux, à la Puissance divine. Car vouloir reconnaître l'histoire comme processus de violence pure, comme Marx, est en soi un processus de désymbolisation, contraire aux fins pacificatrices de la symbolisation de l'histoire. Par ailleurs, il n'existe aucune contradiction entre la victoire par la force et la Providence, sinon dans l'esprit des modernes. L'ordalie, jugement de Dieu, montre exactement cette synthèse.

Ce processus de dénégation -ce pliage symbolique de la domination - permet aux humains domestiqués de nier la puissance même qui les protège de la violence. Ce processus de dénégation par exemple se montre quand les États nient être en guerre en menant des guerres. Quand les gigantesques bases de données du Net sont expurgées de presque toute image atroces des effets de la guerre et de la violence, images qui pourraient aisément se multiplier. Ces images sont d'ailleurs soigneusement recueillies par les pays belligérants, comme La France et les États-Unis, ne serait-ce que pour évaluer les effets des actions de guerre. Pas un bombardement, pas une exécution ciblée par drone qui ne délivre ses centaines d'images. Mais les sous-systèmes d'information ne cherchent que très peu à les diffuser, pour ne pas dire pas du tout. Ils montrent par là que leur fonction n'est pas l'information objective, mais la diffusion d'information utile à maintenir l'ordre existant.

Si une exécution sans jugement est un assassinat, il faut reconnaître que ceux qui la pratiquent si couramment risquent d'être des assassins. Je crois pour ma part qu'il s'exposent au jugement de Dieu. Ou exposer explicitement la règle effective du monde, reconnaître que quel qu'il soit, le crime le plus atroce n'est établi en droit que pour les faibles qui osent tuer, ou les puissants vaincus qui ont tué, et survécu faibles à leur crimes : la Fontaine dit que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. Combien de morts innocentes ont fait les guerres de propagation de la Démocratie, c'est ce que personne ne saurait dire. Il y faudra un jour un livre noir.

Le savoir, l'ensemble des récits qui circulent dans une civilisation ne sont pas un savoir sans liens avec le monde social. La cohésion du groupe est aussi en cause. Cette part de cohésion amène à des arrangements avec la réalité, des dénis, ou des secrets réservés à des groupes fermés. Ne pensez pas d'abord aux sociétés secrètes, et pensez juste au secret médical ou au secret de la confession. Il me semble impossible, et même pas souhaitable de viser une société sans de tels dispositifs de déni ou de déformation. Il convient d'ajouter que le dévoilement d'une vérité dans un groupe social est rendu possible par sa forme de domination ; c'est à dire que l'information est un enjeu des luttes sociales, comme les mots pour décrire un acte de violence, ainsi assassinat ou exécution, massacre ou répression victorieuse. Il s'ensuit qu'un dévoilement – qui signifie la domination d'un groupe - passe par de nouveaux dénis, de nouveaux points aveugles. Nous avons dévoilé la donation de Constantin, mais nous dénions tous les jours le contenu du Prince de Machiavel, quand par exemple nous parlons de la Syrie en terme de progrès ou de démocratie, là où il est une guerre impitoyable de destruction – et une telle guerre est le fait d'hommes de guerre qui tendent à se ressembler.

Ce déni moderne de la violence comme essentielle à la vie politique permet aux hommes hypersocialisés leur existence en tant que type d'homme, le faible qui revendique sa faiblesse. Mais ce comportement est propre aux classes moyennes tertiarisées, qui croient illusoirement représenter le Village Global. Il est des rues ou des lieux ou un tel comportement serait suicidaire. Il est des circonstances où une telle éducation risque de rendre impuissant face à une oppression physique. Le rap montre par exemple une constante revendication du défi et de la force chez les classes pauvres, tout comme les armes visibles des forces de l'ordre. La faible éducation de Louis XVI, dirigée par des religieux moralisateurs, en a fait une victime facile pour un coup de force. A Athènes, la capacité militaire individuelle était une condition indispensable à l'exercice de la citoyenneté. Il est hors de doute qu'une dépendance généralisée des citoyens aux forces de l'ordre pour se défendre, ce que l'on nomme insécurité, est au contraire une voie de la servitude.

En effet, comme la puissance pose et impose des règles, elle ne peut être régulée, sinon par elle-même. La tyrannie ne peut être régulée que par une résistance. Cette résistance n'a pas besoin d'être armée, mais elle doit être forte, et lucide sur l'usage de la violence par les forces de la tyrannie. La puissance est antérieure aux lois comme à la raison. C'est une illusion commune des philosophes, que de poser des règles ou de prétendre en poser, sans aucune puissance. Ceux qui l'on fait légitimement étaient conseillers de princes, mais les professeurs qui continuent risquent juste le ridicule d'énoncer des règles vides de toute réalisation. De même le caractère rationnel des lois ne peut être exigé que sur une période de paix.

La guerre ne peut être régulée. La guerre est régulée par la guerre.

L'homme vaincu n'a qu'un moyen de pression sur son vainqueur : il peut se donner la mort, alors que le vainqueur veut l'exploiter comme esclave, ou donner une image de lui-même qui nécessite sa survie. Par exemple, celui qui s'immole face à des dominants qui veulent donner l'illusion d'une domination régulée, correcte. Il peut aussi jouer la soumission pour mieux renverser ensuite la situation. Il peut se rallier et se soumettre sincèrement. Mais il n'existe rien d'autre, aucune autre issue. Les romains disaient avec vérité, à la suite des Gaulois : Vae victis, malheur au vaincu !

Dans ce monde, si un faible est défendu, si une justice lui est rendue, c'est toujours dans l'intérêt d'une domination supérieure. Cette domination à intérêt à rabaisser une domination intermédiaire, à affaiblir un ennemi, ou encore à maintenir un ordre consensuel, et donc à empêcher un usage trop visible de la violence qui risque de renforcer la rébellion toujours possible. Prenez le cas du Koweït face à l'Irak, ou la répression des bavures policières. Il n'y a pas de justice immanente dans les processus sociaux. Il y a une motivation de puissance à certaines opérations de justice.

L'État dans sa forme moderne permet, et même favorise, un discours puritain sur la violence. Ce discours puritain est très puissant, consensuel dans les milieux éducatifs. Le puritanisme est une structuration psychique passive-agressive des dominés, quelque chose qui ressemble au ressentiment nietzschéen. Il consiste en ce que le dominé dit vouloir, pour des raisons morales, ne pas faire de sa propre volonté ce que la structure effective de domination lui interdit. C'est le pauvre qui se dit heureux d'être pauvre. Le dominé se la raconte libre de ce dont il est privé par force. Il dit ne pas vouloir être violent quand il en est incapable. Mais cette hypocrisie par rapport à soi-même qui le sauve de la dépression de le sauve pas de son désir retourné et dénié en frustration, et donc en agressivité. Que la frustration provoque l'agressivité est conforme à la thèse du caractère essentiel de la violence et du désir en l'homme : ne pas avoir accès à une ressource motive les capacités individuelles au combat. Le puritain anti-agressivité est donc terriblement agressif envers tout ce qu'il identifie comme violent, comme la féministe anti-patriarcale est d'ordinaire complètement dominante dans son groupe.

Une frustration déniée par un discours moralisateur et une agressivité envers ceux qui possèdent ou ont accès à la ressource, tel est l'apparence du puritain depuis Tartuffe. De même encore, le discours féministe anti-pouvoir masculin qui se réjouit bêtement de voir des femmes accéder au pouvoir. Très souvent, le puritain devenu puissant par le succès de son discours fait exactement ce qu'il dénonce, comme Hoover dénonçant violemment l'homosexualité, ou le référent commissaire de police à la lutte contre la pédophilie qui s'avère pédophile. Mais le type le plus courant est le profil d'individu hypersocialisé, qui condamné tout usage de la force, et se montre incroyablement agressif envers toute personne lui semblant forte.

Cette impuissance vantarde et morale aboutit à défendre des politiques absurdes au niveau international, avec cette Europe qui ouvre ses frontières sans contreparties au produits industriels de puissances étrangères elles-même fermées aux marchandises européennes. L'oligarchie européenne accomplit cela dans une logique toute financière qui sait reconnaître ses intérêts, mais avec l'appui naïf de gens de classes moyennes qui croient défendre des valeurs d'ouverture et de liberté, et qui s'étonnent ensuite de notre « désindustrialisation massive ». Pourtant les États structurent leurs liens par des rapports de puissance, et non de bienveillance. Il y aura toujours des sots pour en douter.

Et les débats sur les mouvements mondiaux de population ne sont pour ainsi dire jamais discutés autrement qu'au niveau moral, alors que l'analyse des intérêts et des réactions des groupes d'accueils permettrait un peu plus de compréhension globale. Car il n'existe jamais pour un groupe de devoir de laisser à d'autres l'accès à des ressources qu'il contrôle sans contrepartie, quand cet accès peut en outre menacer sa survie à terme. L'accès aux ressources n'est pas une question morale, mais une question de vie. Et pour un vivant, exister c'est vivre.

Il faut en finir avec le smog moral qui s'étend sur toute pensée humaine et la réduit au slogan vide. Il est stupide de se mentir et de nier la réalité pour commencer à penser. La violence est depuis toujours constitutive de l'humanité même, est un fait de nature connu de tous. Si vis pacem, para bellum. Il n'y a pas de paix dans la dénégation de la réalité. Se protéger et protéger ses enfants est un devoir de tout homme, comme il a été protégé ; et protéger la nation est un devoir de l'État, sans lequel il perd toute légitimité. Si les États d'Europe ne protègent pas les peuples de la concurrence vitale des peuples du monde, mais au contraire les y livrent pour permettre leur exploitation par un tout petit nombre, une oligarchie, quelle est leur légitimité populaire ?

Il n'y a pas de liberté sans agressivité. Lorenz a dit : sans agressivité, il n'y a pas de personnalité. Il y a une dialectique de la violence, mais la violence n'est pas annulée par sa négation ; sa négation se nourrit de sa puissance, puis se meurt, et est niée par une nouvelle violence.

La violence est dans l'histoire de l'humanité ni bonne ni mauvaise, en deçà du bien et du mal, et parfois par delà.

Vive la mort !

(Détail d'un pectoral scythe. Les cavaliers dépècent un mouton)

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Zinaida Serebriakova