Sur les sciences du souffle céleste et de l'étoile du matin.

(Lilith comme figure du caducée, Michel-Ange)


L'homme différencié ne peut faire partie d'une « société » qui, comme la nôtre, est informe, et non seulement est descendue au niveau des valeurs purement matérielles, économiques, « physiques », mais en outre vit et se développe à ce même niveau dans une course folle sous le signe de l'absurde .(...)l'homme différencié dont nous nous occupons se sent absolument hors de la société, conteste toute prétention morale à l'inclure dans un système absurde, et peut comprendre non seulement celui qui est hors de la société, mais même celui qui est contre « la société » - contre cette société . En dehors du fait que cela ne le concerne pas directement ( parce que sa voie ne rencontre pas celle de ses compagnons) il serait le dernier à reconnaître la légitimité de mesures grâce auxquelles on voudrait normaliser et « récupérer » pour la « société » les éléments qui finissent par en avoir assez de ce jeu et que l'on stigmatise comme « asociaux » - c'est là le terrifiant anathème lancé par les sociétés démocratiques . Ainsi que nous avons déjà eu l'occasion de le dire, le sens profond de ces mesures, c'est de narcotiser ceux qui ont su déceler la caractère absurde et nihiliste de la vie collective actuelle derrière tous les masques sociaux, et la mythologie laïque qui lui correspond

Ce texte qui semble être d'un penseur de la Contre-culture est de Julius Évola - (Chevaucher le tigre, fr, p 222). Nous disons l'homme noble quand Évola dit l'homme différencié, mais il semble clair que tout le discours sécuritaire qui est agité dans le Spectacle, par qui que ce soit, ne nous concerne en rien . Il est désirable de fonder une race de fer , selon les mots de l'Histoire secrète, rameau printanier issu des anciens mondes, qui soit aussi impassible au Spectacle que le loup âgé à la crainte de la mort .

Toutes les associations ou communautés sont mortes, ou leur existence se réduit à un clientélisme ritualisé : de même qu'a cessé d'exister l'État véritable, l'État hiérarchique ou organique, de même il n'existe pas non plus à présent aucun parti ou mouvement auquel on puisse adhérer inconditionnellement et pour lequel on puisse se battre avec une conviction totale parce qu'il se présente comme le défenseur d'une idée supérieure . Malgré la variété des étiquettes, le monde actuel des partis se réduit à un régime de politiciens jouant souvent le rôle d'homme de paille au service d'intérêts financiers, industriels ou syndicaux .(idem)

Notre question cruciale est celle de la voie pratique, immédiate, de la mise en œuvre de la révolte .

Tout le poids de la révolte moderne passe par l'individu . L'individu n'est pas une chose en soi, une donnée ; il est l'être humain impuissant déprivé de liens et de mondes, sans tribu, sans tradition du sang et du souffle ; il est le résidu humain produit par le Système – il est une déjection d'un mécanisme de fer voué à l'assimilation et à la destruction . Il l'homme nu, mais non par pureté tribale, mais par dénudation et annihilation . Il appartient à l'individu de se préparer, de s'organiser, même complètement isolément . Évola veut poser, par un coup de génie, le problème d'ordre personnel et pratique qui se pose (…) à ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas couper les ponts avec la vie actuelle et qui ont de ce fait à résoudre le problème du comportement à adopter dans l'existence, ne serait-ce que sur le plan des réactions et des relations humaines les plus élémentaires . (Chevaucher le Tigre, fr. p 10)

Le moment de départ de la guerre en cours est l'individu présumé dans la solitude la plus complète, non comme le souverain illusoire d'un Spectacle vide de la liberté, mais comme esclave du Système, enchaîné par les illusions indéfinies de l'ego spectaculaire . Au delà de cet individu, il n'y a plus que la mort . Il est des hommes corporellement vivants, mais complètement morts : ainsi un retraité dans une maison de retraite hospitalière, maintenu en vie dans la démence et la dépendance la plus abjecte : une pension, un lit occupé, un profit . Mais aussi, et surtout, de manière insidieuse et invisible, des êtres humains encore pleinement fonctionnels pour le Système, qui travaillent et consomment, mais sont privés de vie humaine authentique, qui sont bels et bien des morts .

D'une certaine manière, cet individu déprivé d'être, et au bord d'être déprivé de son humanité même pour être réduit à une fonction du Système, est un prolétaire – un être privé de tout bien- d'ordre spirituel – il est la figure du négatif absolu qui se love au cœur du Système, parce que le Système le secrète comme le corps secrète le sang . La mort de l'homme est la vie du Système, mais aussi le retournement de la destruction, la destruction de la destruction . D'avoir atteint le fond du désespoir et entrevu le néant de soi-même et du monde, il peut naître du bloom une race spirituelle apte à des tâches qui demandent de la démesure . L'armée des ombres est aussi l'armée des morts .


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Que faire ? Comment devenir homme nu comme le guerrier grec ?

Il est, dans une indéfinité unique,une distinction qui peut aider à comprendre ce dont il s'agit . Celle de deux formes de voies de sagesse . La première est la voie de l'expression de la vérité en formules, qu'elle soit nommée philosophie, métaphysique, ontologie, ontho-théologie, théologie . Elle est une voie noble, mais qui qui est ouverte, comme l'océan, à des dérives . Le principe de départ, chez Héraclite comme chez Platon, est de modeler son esprit sur les structures idéales, d'être un miroir des sphères éternelles – le sens véritable de Science spéculative - de pratiquer la théôria, la contemplation divine .

Insensiblement il s'est agit de déterminer une théologie, ou une armature conceptuelle apte à dire l'être, une ontothéologie, puis à vaincre des adversaires, à construire de pesantes armures de l'arène idéologique universitaire . Le mode d'être de la théologie universitaire devient en lui même vicié, s'il est simplement possible – et c'est le cas dès le XIVème siècle – de multiplier les subtilités dialectiques au sens profane, sans lien, ou avec un lien de plus en plus lâche, avec une vie spirituelle authentique . Simone Weil note à ce sujet dans la lettre à un religieux, à propos des mystiques : La métaphore du voile ou du reflet (…) leur permet de sortir de cet étouffoir (…) ils acceptent l'enseignement de l'Église comme étant non la vérité, mais le voile derrière le quel se trouve la vérité . (…) les dogmes de la foi ne sont pas des choses à affirmer . Ce sont des choses à regarder avec une certaine distance (…) ce regard attentif et aimant, par un choc en retour, fait jaillir dans l'âme une source de lumière qui illumine tous les aspects de la vie ici bas . (…) la valeur de ces propositions est (...) différente (...)(de) l'énoncé d'un fait exact ou d'un théorème géométrique (…) .

Prenons l'exemple d'énoncés logiquement paradoxaux, que ce soit la théologie trinitaire : trois personnes dans une seule substance, ou plus accessible, l'idée même d' « une toute puissance impuissante à faire le mal ». Face à un paradoxe de ce type, la théologie exotérique peut chercher des solutions « rationnelles » en élaborant des formes logiques subtiles . Première possibilité de « solution », par exemple, il est possible de soutenir que le mal n'est qu'un néant, une absence de bien, et non une puissance ontologique analogue au Bien, c'est à dire à Dieu . Ainsi le Tout Puissant, étant toute la puissance d'être, ne peut faire le mal . Il est possible de poser deux principes co-éternels, du Bien et du Mal . Il est possible de croire que les oppositions entre dualisme manichéen, dualisme mitigé, ou encore la théologie dogmatique catholique, sont des oppositions authentiques, et non pas les illusions de misérables bavardages enracinées dans des teintures de l'être au mondes . Il est également possible de soutenir que c'est la volonté de Dieu, et non la nôtre, qui détermine le Bien ; et donc que tout ce qui arrive est Bien, même si cela nous paraît mal, parce que Dieu n'est pas tenu par les règles qu'il pose aux hommes . Il s'ensuit qu'un homme qui respecte la Loi donnée par Dieu peut être damné, puisque le jugement de Dieu est impénétrable . De plus, comme tout est éternel en Dieu, les damnés et les élus sont tels par décret éternel arbitraire – c'est l'idée de prédestination .

Toutes ces élaborations logiques, aux conséquences souvent aberrantes – comment l'homme ou le diable pourraient-ils limiter Dieu ? Comment Dieu pourrait-il damner un de ses fidèles ? - sont à côté de la fin spirituelle du paradoxe, car le paradoxe est là pour enseigner à surmonter la lourdeur des structures logiques dans la vie spirituelle, à s'élever à la dialectique, et donc à entamer une remontée vers l'Un à travers le multiple et le contradictoire du monde – et non à résoudre logiquement le paradoxe par des choix unilatéraux . La résolution logique des paradoxes est une défense contre le dépassement de la raison par l'esprit qui est la raison du paradoxe . Le sage ne résout pas le paradoxe, il le creuse indéfiniment dans sa propre vie – il ne le résout que par éclairs, que par réunion des opposés dans un opposé supérieur . Qui cherche la Voie, s'écarte de la Voie . Qui veut sauver sa vie la perdra .

Séparée de la vie spirituelle, la théologie s'enferme de plus en plus dans la logique, pour finir à ce jour comme logique formelle a-théologique .

La haute technicité de cette logo-théologie devenue logique et épistémologie en fait une arme sûre de verrouillage du champ universitaire et politique – notons qu'instrumentaliser ainsi la Science sacrée est un processus séculaire de profanation - mais consacre l'abandon du spirituel par l'université dès le XIVème siècle, puisque la Science Sacrée devient inaccessible et morte même pour les hommes cultivés . Une méfiance même s'élabore entre Université et vie spirituelle ; le procès de Maître Ekhart par l'inquisition vers 1327, l'humiliation de ce penseur du paradoxe, universitaire, spirituel de très haute envergure et prêcheur en langue vernaculaire, est un moment décisif . A ce jour encore, l'essentiel de la production universitaire est séparée de la vie des hommes, est largement morte .

La contemplation n'est pas une Voie perdue . Mais elle n'est pas cette Voie, celle dont je parle . Il s'agit de trouver une Voie immédiate, une voie qui ne fasse pas d'abord de détour vers le tout réel . Il est possible de connaître d'abord les mondes de l'être pour se connaître soi-même, mais il est aussi possible d'aller vers le microcosme pour accomplir la Voie de Delphes : Connais-toi toi-même .

Dans le sanctuaire d'Apollon, cette inscription doit, pour être comprise, être inversée de son sens moderne . Elle est une remémoration de la place hiérarchique et harmonique de l'homme, pour éviter la démesure, l'hubris . Héraclite dit : il faut éteindre la démesure ainsi qu'un incendie . Celui qui se connaît connaît sa place dans le monde . Dans l'autre sens, seul le monde me reflète, et me permet de me voir . Et celui qui part vers le monde, comme Ulysse, apprend à se connaître comme mortel avide d'immortalité, serviteur et frère des dieux immortels .

Toute voie est un cercle . Le point de départ est le point d'arrivée . Héraclite dit : la fin et le commencement se rejoignent dans la circonférence du Cercle . Ils se rejoignent et ne se rejoignent pas, car on se baigne jamais dans le même fleuve .


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Nous aimons la théorie, et nous ne saurions en dire aucun mal . Si nous ne sommes pas des aigles, nous ne devons pas pour autant les couvrir d'opprobre à cause de leur impuissance à nous élever, nous, si nous sommes devenus de fer . L'aigle originaire de la théologie s'exprime ainsi, et sa parole ne peut être reniée .

La voix de l'Aigle mystique retentit (…) puissent nos sens, du dehors, en recueillir le son fugitif, et notre esprit, au dedans de nous, en pénétrer l'intellect éternel ! Voix de l'oiseau de haut vol, non de celui qui volerait au dessus de l'air matériel ou de l'éther, voire au dessus de tout l'univers sensible, mais de celui qui, par les ailes rapides d'une profonde contemplation – s'élève au dessus de toute contemplation (…) et est emporté, au delà de toutes les multitudes, jusqu'au principe unique de toutes les multitudes (…)

Jean Scot Eriugène, Homélie sur le prologue de Jean, I .

Nous ne savons plus le théos, le dieu caché de la théorie, de cette contemplation qui transforme le miroir en image de ce qu'il reflète, et plus profondément, par l'action de l'art authentique du peintre, du sculpteur ou du musicien, comme du Barde qu'est l'Eriugène dans son poème, en produit ici et maintenant la substance véritable, en pâture pour nos sens .

Notre esprit peine à refléter, mais nous pouvons acquérir une discipline et suivre la voie hermétique de l'Alchimie, qui part des substances corporelles de la nature pour entamer le repentir, le retournement au principe, à la source . Nous pouvons nous souvenir de Dieu comme Dieu se souvient de la Terre Sainte, et utiliser la force de ce qui chute pour entamer le retour . De la vitesse des choses pesantes vers les métaux du centre de la terre, vers l'assimilation du fer, nous pouvons faire l'énergie d'un choc, d'un rebond, d'un envol . Comme celui qui, tombant de hautes falaises dans la mer, trouve au fond de l'eau le point d'appui d'une poussée vers le soleil, et sort sa chevelure des algues qui déjà l'embrassaient de leurs filaments noirs .

Plus encore, mais cela ne peut être évoqué qu'à demi mots dans ce commencement, les puissances du mal elles mêmes peuvent être puissance de retour . L'esprit reflète le monde – l'âme est, en quelque sorte, toutes choses, dit Aristote, dans de l'âme – et permet la théôria, la théoformation de l'homme qu'évoque l'Eriugène ; mais le corps aussi reflète le monde, même comme un miroir de plomb, appelé à se transformer en or . Le corps peut être livré à la théurgie, à la discipline de transformation .

Alors le corps de mort et la prison de l'âme peuvent, dans l'alliance du temps et de l'éternité, devenir l'entrelacement du chèvrefeuille et du Serpent . Le Serpent peut redevenir Serpent à plumes, et ami de la femme, de la Shakti, la puissance féminine du monde comme puissance de feu, de retour – non cette créature avilie à la poussière, qui tue la femme par le talon, par ce qui est le plus bas . L'emblème du Serpent ascendant, spiralé, des hermétistes prend alors tout son sens d'ascension d'orage, expression de la puissance du Ciel, comme de la Kundalini lovée à la base de la colonne vertébrale, de l'arbre vertical du corps – ce qui le renvoie à sa dimension céleste résistant à l'effondrement de la chair molle – et montant par les portes célestes vers l'Esprit .


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Et puis, et puis après ?

J'en viens maintenant, après ce préambule encore théorique au yeux de l'homme qui ne peut anticiper de lui-même les propos d'une pensée – comme il est possible, en observant la marche d'un homme au loin, d'anticiper sur son chemin et de voir par ses yeux . L'homme isolé qui ne peut se vivre de théorie peut commencer par se ressaisir, avant de se connaître, par chercher une sortie de l'emprisonnement du monde moderne . Il peut se ressaisir par une discipline du corps .

L'homme d'une vie supérieure est l'homme qui a un Orient, l'homme qui suit une étoile . Les mages suivaient l'étoile du berger, celle qui longtemps avant l'aurore, marque à l'horizon la présence de l'aube à venir – et cette étoile se nomme Lucibel . Suivre une fin supérieure n'est pas rien, puisqu'au contraire cela suppose – en puissance - le renoncement à tout ce qui empêche de la suivre . Dans la tradition d'Abraham, cette décision est figurée par l'appel d'Abram, avant son changement de nom ; et dans les paroles du Maître se trouve cette réponse au jeune homme riche qui voulait le suivre :

Viens, donne tout ce que tu as et suis-moi .

Lire justement un texte sacré est y lire l'histoire de son âme entrelacée à l'histoire racontée par les mots . Nous sommes tous un jeune homme riche, à l'heure de la décision suprême, même le samouraï du Hagakure, méditant sur la mort, autre forme de donne tout ce que tu as . Le Hagakure l'adjure : le moment présent pourrait être le moment crucial ; le moment crucial pourrait être le moment présent . L'homme qui se love dans la puissance sacrée vit chaque instant dans l'aurore de l'instant crucial, le souffle et l'attente de ce moment . L'âge d'Or est toujours déjà présent, et se manifeste à celui qui commence à aspirer vers lui .

La première voie du corps est de devenir impitoyable à soi-même dans une discipline . Peut importe la discipline choisie . Il est sans doute préférable de choisir une discipline du corps qui conserve, même dégénérée, une origine sacrale, comme le fondement du fondement du corps, le dos, est le sacrum . Il est la voie des asanas du Yoga, les arts martiaux d'Orient, la capoeira, l'alpinisme, la course, la marche, l'haltérophilie, la danse, la musique . Il convient de noter la voie des érastes et des hétaïres, mais la voie de l'Éros doit être étudiée à part, comme alchimie - et je crois que tout est possible . Il est préférable de connaître des travaux à faire dehors, ou chez soi, c'est à dire à n'importe quelle heure . Il est préférable de choisir une discipline sans compétition, ainsi peut être moins corrompue . Il importe de se fixer une règle de réalisation, et de s'y tenir sans cesse . En cas de suspension d'une fois, on fera le double la fois d'après, même épuisé . En cas de blessure, on continue ; et si c'est impossible, il faut trouver une compensation . Il faut être radical, sans aucune concession . L'inefficacité physique n'est pas un argument pour nous . La fin suprême n'est pas d'améliorer la performance physique, mais d'acquérir une puissance de décision qui autorise un jour la loyauté inconditionnelle .

L'affrontement au corps, à la douleur, aux odeurs de sueur, de sang, est la connaissance de ses limites et de sa nature de créature faite de limon, de poussière – issue de la terre – car l'homme sent comme un sous-bois ou un animal, la chair, la fleur, le musc, la civette, le lait, le sperme, le sexe - car l'homme peut exprimer l'harmonie par son odeur délicieuse, comme il peut exprimer le chaos de la maladie et de l'agonie par sa puanteur . L'odeur d'une personne est le reflet de son état ; notre odeur malade, et notre odeur en euphorie sont profondément différentes . L'exercice est une préparation sexuelle à la vie, un printemps du microcosme . L'odeur est un sens de la terre, et l'homme aux larges narines et au cœur puissant , comme Achille, se connait comme humus et créature, un savoir voilé dans le monde moderne désodorisé, javellisé . Le corps, l'amour, la sueur sont des harmoniques de la voie de la terre, ainsi le Cantique est-il aussi un livre des montagnes et des vallées, un livre des troupeaux et des récoltes, un livre des parfums .

Un résultat essentiel de la pratique de toute discipline demandant une concentration absolue est de calmer l'agitation dispersée du mental, d'apprendre l'unification du vouloir – et il faut une violence pour l'obtenir pour la plupart des hommes, dont le shibari est l'image . En arts martiaux, c'est l'adversaire ; en alpinisme, c'est la peur et le risque ; en marche de haute montagne, c'est la nécessité d'arriver au refuge quand il fait froid, et que l'on manque de nourriture ; en haltérophilie, c'est le danger immédiat de tout relâchement et de toute erreur de position ; ailleurs, la fierté de ne pas être mis à l'écart . Calmer l'agitation du mental, c'est être capable progressivement de méditer sans mobiliser le corps, de se tourner vers l'intérieur dans la confusion dispersée du monde moderne . La discipline du corps ainsi ainsi transforme l'esprit .

Pas plus que la théorie, une telle voie – la voie de la dureté physique - n'est pas adaptée à tous les hommes . Mais elle est une voie immédiate et concrète, et c'est pour cette raison qu'elle est couramment suivie en prison . L'homme moderne a beaucoup à apprendre de la prison, des camps, des hommes détruits par les derniers siècles, des voies sauvages qu'ils ont trouvé pour respirer et vivre debout, en être humains, conservant la mémoire de l'amour face à des tentatives ouvertes d'annihilation .

L'étude et la mémoire des morts sont de fait des voies spirituelles dans l'âge de fer, et pas seulement des sciences . La mémoire des morts est, plus que la métaphysique de la déconstruction ou la théologie, une voie spirituelle . Voies spirituelles sauvages, non balisées par des maîtres, et discrètes, silencieuses en tant que telles . Voies de béguines . C'est sans doute ce qui leur permet de vivre, comme la fleur discrète qui s'enroule dans la mousse, et que seul le regard de l'errant contemple avec paix, quand il s'assoit pour rompre le pain au cours de ses longs cheminements .

Que Remarque ( car les soldats révoltés mais impuissants des guerres modernes sont des prisonniers du Système), Anne Franck, Rudolf Höss, Soljenitsine, Chalamov, Kertész, Goebbels, entre tant d'hommes, soient des témoins de notre âge ne doit pas être considéré avec négligence . Je place le bourreau dans la liste des témoins de ce cycle, comme le soldat qui a massacré et torturé, comme l'organisateur du Spectacle, et il en est tant de vivants . Un témoin n'est pas une perspective absolue, ou la justice . La destruction de l'homme frappe le bourreau, comme l'aliénation capitaliste frappe le cadre, et le propriétaire . Le témoignage du bourreau nous fait voir à quel point le bourreau est un être humain annihilé, réduit à une fonction du système général de destruction . Son caractère impitoyable s'enracine dans la mécanisation de son âme, impitoyable pour lui-même, et accomplie insidieusement . Il est aussi un sacrifié du Léviathan .

La laideur de la prison n'est pas seulement l'humiliation de la prison, mais le voile noir qui entoure le monde de ceux qui produisent, contrôlent, organisent les sous-systèmes d'enfermement . Bernanos a accompli un geste décisif à l'instant crucial de sa vie quand il a rompu avec tout son monde d'écrivain et d'homme pour écrire les grands cimetières sous la lune, pour proclamer que la lutte contre-révolutionnaire ne pouvait passer par le massacre sans être un labyrinthe des ténèbres . Il a accompli la parole : viens, laisse tout ce que tu as... il a perdu son emploi et ses ressources, et s'est exilé .

Quant à l'homme noble...il a accompli enfin ce retournement avant de mourir . En dehors du fait que cela ne le concerne pas directement ( parce que sa voie ne rencontre pas celle de ses compagnons) il serait le dernier à reconnaître la légitimité de mesures grâce auxquelles on voudrait normaliser et « récupérer » pour la « société » les éléments qui finissent par en avoir assez de ce jeu et que l'on stigmatise comme « asociaux...Nietzsche doit être inversé au présent cycle de domination des esclaves du Système . Ce n'est pas parmi les maîtres de ce temps que l'on trouve des modèles de dignité humaine, mais parmi les victimes issues des révoltes, même des plus obscures . Parmi les maîtres ne se trouvent que des histoires de reniement, d'abandon des images de justice de l'enfant et du jeune homme, d'accumulation de richesses matérielles, de crimes et de trahison, parfois accomplis avec espoir . Ce n'est pas parmi les maîtres que l'on trouve des exemples de courage et de désir de vie, mais parmi les hommes de fer qui ont vécu debout au cœur des cauchemars des hommes modernes .

Voir ces inversions, c'est l'exercice du discernement, issu de la discipline du mental . La discipline du mental suppose d'acquérir du discernement qui nourrit la discipline du mental . A ce stade, les hommes capables de comprendre le manuel d'Epictète sont encore rares . Je veux décrire les méthodes de discipline du mental .

Au delà de la discipline du mental se trouvent les sciences de la sève, du sang, du souffle et du rythme, les sciences de la synchronies du microcosme et du macrocosme . Enfin, les sciences de la forge, du feu, de la transformation .

Nous avons donc deux articles à prévoir, pour effleurer de tels sujets, défricher et faire l'esquisse d'un manuel moderne, d'un Hagakure du poète dans l'âge de fer . Ce qui est notre fin .

Vive la mort !

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Nu

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Zinaida Serebriakova