Ménade comme danse macabre.



(http://femmefemmefemme.wordpress.com/2010/02/03/paul-laurenzi-4/)


Écoutant la musique entêtante et rythmée, et voyant la danse extatique de la ménade aux bras lancés comme une hélice,
Son chant s'élève comme une colonne de fumée sur une ville prise, sur l'accumulation des désirs et des peines,
Son chant est comme la rose, et toujours un nouveau souffle sort de sa bouche chargée de vapeurs, toujours une nouvelle modulation recouvre le cœur, à la manière de la corolle des pétales qui s'entassent, comme des tapis, les tapis sur lesquels je tourne et m'enfonce à l'infini des horizons rouges, des horizons du crépuscule .

Je tourne et je m'enfonce, comme le corps d'un noyé tournoie dans les abîmes, jetant un grand reflet blanc pareil au ventre du requin, dans des océans qu'aucun navire jadis n'ouvrit de sa proue de Sirène . C'est sur cet océan que je veux vivre et aimer . C'est en cet océan comme une sphère que je veux vivre et mourir . La mort est la rose de l'extase, et le crêpe noir sur lequel elle repose .

La rose est le miroir de son chant, du souffle qui s'exhale entre ses dents de vivante, dents de nacre pareilles au collier de perle sur la gorge blanche de la jeune femme vêtue de noir,
L'Ange à la fenêtre d'Orient .

Ses mouvements saccadés, squelette et muscles, se jouent de sa peau comme une fumée dansant sur un brasier, comme le serpent face à la fascination de la Science du bonheur et du malheur .
Ses seins lourds tournent et tournent sur son buste comme des chars, comme s'ils creusaient en spirale à travers la peau du monde, tandis que son souffle s'élève et s'élève et tire les larmes comme du lait de mon âme .

Les tambours tonnent sur mon âme folle de désirs comme un orage sur le champ de bataille, délices des corbeaux . Je désire, et je suis mon désir ; je désire, et je me perd dans le désir comme dans une forêt obscure . Je désire, et ça désire, et je m'appelle entre les arbres pour me retrouver . Ça désire, et je me perd et me détourne de moi pour désirer au plus haut ; je détourne ma face de moi-même, je me prend en haine pour m'envoler dans le courant âpre du Serpent . Je plonge dans tes cheveux de corbeaux pour devenir corbeau, toi, flèche, filet de sang sur la neige . Je déchire parce que j'aime . Je me déchire pour te dévorer . Tu courbe la tête comme une maîtresse vers les sépulcres et les fleurs . Tu es ma neige, ma montagne, mon océan, ma lune .

Ô folie ! La sueur mouille son visage parfait lové au cœur de ses bras, coule et éclate sur ses lèvres ouvertes comme une grenade . L'eau de son corps dessine sur ses aisselles une vaste et âpre auréole, le rythme des tambours s'alourdit et chaque partie de son regard exprime les étoiles .

L'axe de sa rotation folle est l'axe d'élévation de son chant, l'axe du monde repose sur son sein blanc, une vague de délices emporte des larmes mêlées d'encens . Ainsi dans la mer le typhon apparaît-il comme une noire falaise d'humeurs, involuées de flammes, qui dévorent les rayons du Soleil, et plongent les hommes terrifiés dans l'obscurité hurlante . Elle réfracte mes regards dans une spirale délirante, elle porte et danse ma grande ténèbre, elle me défie du regard de cesser son mouvement comme le Serpent défie sa proie .

Alors du fond des ténèbres me vient le désir de la saisir, de répondre à son défi dans un duel ensoleillé, caniculaire, propice à l'hallucination éblouie et à la mort . Je la hais et je l'aime, je suis de cristal érigé et je m'agenouille comme s'écoule une larme . Je suis vaincu comme la proie de la Sirène, la reine blanche comme lys, blanche comme la Baleine figurant le corbillard ; et je suis vaincu par le désir d'être vainqueur, par le désir de laisser là le vain désir de la mort du désir, par le désir de la clouer sur une planche comme un papillon et de jouir de sa défaite pantelante . Mais il est vain de saisir le chant et la danse, il n'est aucune voix pour chanter le chant, aucun art pour emprisonner la danse . Aucun art pour invoquer ce que j'invoque avec puissance .

Sans cesse la main lance le filet sur le lac noir et sans cesse elle ne saisit que son impuissance à faire sienne l'âme enfouie dans les ténèbres . Ce qui me traverse de désir est que tu t'éloigne à l'horizon de tes yeux ; ce qui t'attire est que je sois si loin . Que tu sois mienne et tu m'étouffes ; que je veuille être tien te fais fuir sous la pierre comme la murène .

Le temps brisera sa puissance de femme, comparable au poids des plus grandes vagues sur le vaisseau fantôme qu'est l'âme éperdue du mage, et c'est ainsi qu'au plus fort de son exaltation sa tristesse occulte lui fait désirer la mort . Elle désire la mort pour la vaincre comme elle a vaincu mon désir . Elle désire la mort pour la défier, car le défi est plus que la défaite . Heureux celui qui meurt la face dans la poussière sous le feu du Dragon ! Heureux les pas du Dragon qui m'apporteront la mort ! Que nous mélangions nos sang avec celui du Dragon sur le champ du combat d'amour !

Je ne peux la faire mienne pour ce qu'elle manifeste dans sa perfection extatique, sinon dans l'étincelle de la hiérogamie où s'unissent et s'entrelacent l'instant et de l'éternité, entrelacement né d'un combat ténébreux, car ce qu'il en reste après le feu n'est qu'une femme comme les autres, de la cendre . Et je ne suis rien, moi que je porte avec suffisance comme un manteau . Rien qui puisse faire vivre . Vivre est si mortel pour l'âme . Aussi dans les flammes de notre entrelacement, comme le lierre et la rose mêlés sur la tombe retirée, la mort danse-t-elle secrètement avec nous .

Les danses les plus belles sont les danses macabres en ce souvenir de fleur . Chante, chante, ô Sirène, qui aspire à la mort et aspire mon âme . La peur mordante des mortels s'éteint comme un feu follet sous l'effet de ton souffle puissant, et l'eau noire du fleuve des morts est vivante et douce à ma bouche, comme l'eau de la source qui éclate au soleil invaincu, à l'écart du chemin de montagne où s'égare le loup . Tu peux tout donner d'un geste infime et d'un mot, comme le plus puissant souverain ; et tu ne peux user de cette puissance sans la jeter dans la poussière .

Ta peau salée est comme une nouvelle mer ouverte à des mutins égarés au grand midi, et par l'odeur de tes cheveux dénoués le Grand Pan sort du Royaume des ombres .

Je te pénètre lentement d'un couteau sacrificiel qui se couvre de sang tiède, au son des hymnes mithraïques,
Car ô douleur, c'est mon sang qui s'écoule en filets sur ton corps vaincu par la puissance déchaînée, mon sang qui coule dans tes veines comme le fleuve sur le continent vierge des pas profanes .

Notre sang, notre sueur, notre rage ont fait le feu
Sur lequel brûle la douleur de la mélancolie,
Au nom de la sainte et indivisible Trinité
Secrètement la mort dansait avec nous .




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Nu

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Zinaida Serebriakova